Mis en place en 2016, le programme de vérification et de modération des contenus sur Facebook permet à Meta de lutter contre les fausses informations en collaboration avec des médias professionnels et vérificateurs indépendants des faits. Grâce au mécanisme, des publications sont déclassées voire supprimées quand elles contiennent des faits dénaturés, tronqués ou manipulés.
L’annonce de la suppression du programme aux Etats-Unis a surpris Valdez Onanina, rédacteur en chef du bureau francophone d’Africa check à Dakar, premier organisme de fact-checking en Afrique et partenaire de Meta. ‘’C’est une décision assez surprenante en ce sens que ce programme de vérification par des tiers, lancé en 2016, constitue encore un grand pas en avant dans la promotion de l’exactitude des faits en ligne et, globalement dans la lutte contre la désinformation’’, confie-t-il à Badona.
Valdez Onanina trouve “faux”, les arguments de Mark Zuckerberg. Il rappelle que dans le cadre du programme, “Meta a exigé de toutes les organisations de vérification des faits partenaires qu’elles respectent des normes strictes d’impartialité en se soumettant à la certification de l’International Fact-checking network, le Réseau international de fact-checking)”.
“Cela veut dire que les organisations partenaires de ce programme ne doivent nullement être affiliées à des partis politiques ou à des candidats, de même qu’elles ne doivent pas défendre des politiques, en plus de devoir s’engager de manière indéfectible en faveur de l’objectivité et de la transparence. Les organisations certifiées par l’IFCN sont soumises à un contrôle annuel rigoureux, comprenant une évaluation indépendante et un examen par les pairs”, clarifie le rédacteur en chef du bureau francophone d’Africa check à Dakar.
Directeur de publication et éditeur de Togo check, Noël Tadégnon dit être préoccupé. Et pour cause, fait-il constater, le programme de fact-checking de Meta ‘’constituait un rempart essentiel contre la propagation des informations fallacieuses sur les réseaux sociaux, qui influencent considérablement les opinions publiques et les prises de décisions’’.
« C’est un acte de sabotage. En prenant cette décision, le patron de Meta fait preuve de sabotage du travail acharné des fact-checkers dont le seul but est de permettre au public d’avoir droit à des informations justes basées sur l’exactitude des faits. Zuckerberg a tout simplement jeté du discrédit sur les professionnels de l’information vérifiée pour s’assurer la présence des créateurs de contenus viraux erronés dont sa plateforme a besoin pour rester en concurrence avec les autres plateformes sur lesquelles les désordres de l’information drainent du monde », s’indigne Olivier Ribouis, directeur de publication de Badona.
L’ombre de Donald Trump
L’annonce de Mark Zuckerberg est intervenue moins de deux semaines avant le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. L’analyse de la décision du patron de Meta ne doit donc être faite sans perdre de vue ce vent de changement qui s’annonce sur la première puissance économique au Monde, nous dira Paul Joël Kamtchang, spécialiste de la désinformation et Secrétaire exécutif de ADISI-Cameroun, association propriétaire de Data Check, une organisation de fact checking.
‘’Je comprends la décision de Mark Zuckerberg qui s’applique de façon partielle et parcellaire aux Etats-Unis qui ouvre un large boulevard à Donald Trump qui, lors de son premier mandat s’inscrivait en faux contre les modérations de contenus estimant que lui, en avant, les réseaux sociaux devaient libérer la parole et de ne pas avoir de limite’’, explique-t-il.
Paul Joël Kamtchang a vu juste, juge Abdoulaye Guindo, fact-checker et coordinateur national de la Plateforme Benbere, une organisation de fact-checking basée au Mali. Pour lui, la décision de la suppression du programme de fact-cheking de Meta a été prise pour ‘’faire plaisir à Donald Trump qui a toujours pensé que la vérification de faits est une forme de censure’’ et son compagnon Elon Musk’’, président directeur général de X.
Du fil à retordre aux fact-checkeurs africains
Depuis juin 2014, Facebook revendiquait 100 millions d’utilisateurs par mois sur le continent africain, dont plus de 80% depuis un mobile. Bien que la décision de Méta ne concerne pour l’heure que les Etats-Unis, les spécialistes de la lutte contre les fausses informations pensent qu’elle ne sera pas sans conséquence sur le continent africain. Le fact-checker malien, Abdoulaye Guindo de Benbere redoute la multiplication des infox dans son pays. ‘’Des campagnes d’influence et de désinformation sont menées depuis les pays occidentaux vers l’Afrique.
Certains influenceurs maliens qui diffusent la désinformation sont installés aux Etats-Unis. Si leurs contenus ne sont pas modérés, ils seront boostés et redirigés vers nos pays. Quand ils diffusent ces contenus sur Facebook, même quand c’est modéré, ils en font après de petites capsules qu’ils mettent sur Tiktok et dans les groupes WhatsApp et ça influe le jugement de nos concitoyens au Mali’’.
Le rédacteur en chef du bureau francophone d’Africa check à Dakar voit deux conséquences immédiates de la décision de Mark Zuckerberg. La première est relative à l’accroissement du désordre informationnel sur la plateforme (et globalement sur Internet). Ce, souligne-t-il, ‘’alors qu’on peine déjà suffisamment à répondre efficacement au problème; l’accentuation de la défiance du public envers les fact-checkers et le discrédit jeté sur ces derniers’’.
Selon Valdez Onanina, ‘’on va assister à un recul important pour ceux qui veulent voir un Internet qui donne la priorité à des informations exactes et fiables’’.
En dehors de toutes ces répercussions, Noël Tadégnon cite spécifiquement l’affaiblissement des entreprises par des campagnes de désinformation ciblées et l’absence de régulation adéquate qui pourraient exacerber les tensions intercommunautaires et contribuer à la propagation de discours haineux, compromettant ainsi la stabilité sociale.
Le directeur de publication de Badona craint une conséquence “plus dévastatrice”de la décision de Meta pour l’Afrique, deuxième continent le plus peuplé du monde.
Notes de la communauté
En supprimant son programme de fact-checking, Meta propose une alternative déjà en vigueur sur le réseau social X (ex-Twitter) : instaurer les notes de la communauté, un mécanisme permettant aux utilisateurs d’ajouter eux-mêmes du contexte aux publications qu’ils jugent erronées, tronquées et manipulatrices. Cette nouvelle donne, les fact-checkers africains doutent de son efficacité.
‘’L’instauration des « notes de la communauté », bien qu’innovante, pose plusieurs limites’’, alerte Noël Tadégnon expliquant que ‘’cette approche peut favoriser une certaine collaboration entre utilisateurs’’ mais, ‘’elle ne remplace pas l’expertise et la rigueur des professionnels du fact-checking’’.
‘’Les risques de biais, de manipulation et de surreprésentation de certaines opinions demeurent élevés. Sans modération ni vérification indépendante, ces notes pourraient elles-mêmes devenir un vecteur de désinformation, particulièrement dans des contextes où les utilisateurs ne disposent pas toujours des compétences nécessaires pour analyser de manière critique les informations’’, expose-t-il. Valdez Onanina, lui, ne pense pas que ‘’ce type de programme se traduira par une expérience positive pour les utilisateurs’’. C’est un avis, justifie-t-il, ‘’qui repose sur des études ayant démontré que de nombreuses notes de la communauté ne sont jamais affichées, parce qu’elles dépendent d’un consensus politique généralisé plutôt que de normes et de preuves d’exactitude’’.
Le rédacteur en chef d’Africa check à Dakar nuance tout de même qu’il faut avoir une approche inclusive et holistique, pour dire qu’il n’y a aucune raison pour que les notes de la communauté ne puissent pas coexister avec le programme de vérification des faits d’une tierce partie. Ces propos sont renchéris par Olivier Ribouis, directeur de publication de Badona qui estime qu’ « une meilleure approche aurait été d’associer le fact-checking et ces notes de la communauté pour consacrer la sacralité des faits ».
Paul Joël Kamtchang, spécialiste de désinformation et secrétaire exécutif de ADISI-Cameroun invite les fact-checkers africains à anticiper sur l’élargissement de la décision de Meta sur le continent noir. Comme solutions, il propose, une co-construction autour de la lutte contre la désinformation, de développement des outils locaux par des intelligences locales et un renforcement du corpus juridique en matière de la lutte contre la désinformation prenant en compte toutes les facettes de la chose.
Cet article, est produit par Badona, nous l’avons syndiqué dans le but d’elargir l’audience et aussi informer notre public sur la decision de Meta.
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